A la croisée des arts, la fontaine Stravinsky ou fontaine des Automates fait le lien entre la modernité du Centre Pompidou et les arches gothiques de l’Eglise Saint Merri. Œuvre in situ associant à son esthétique singulière les éléments architecturaux du lieu tout en soulignant le dynamisme propre à ce quartier de Paris, elle offre un contraste saisissant entre le plan d’eau de 580m2 et l’espace minéral de la place. Spectacle musical et chamarré, théâtre nautique, cet ensemble exubérant de sculptures batifolant dans l’eau réenchante la réalité quotidienne à travers une appropriation poétique du concret. La fontaine-sculpture imaginée comme une invitation à l’insouciance et à la joie par le couple mythique du Nouveau Réalisme, Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle, a été inaugurée en mars 1983. Pierre Boulez, fondateur et directeur de l’IRCAM – Institut de Recherche et de Coordination Acoustique Musique – dont les cinq niveaux souterrains se trouvent sous la place Stravinsky est à l’origine du projet de cette commande publique de la Ville de Paris en partenariat avec le Ministère de la Culture et le Centre Pompidou. Hommage au compositeur russe qui a donné son nom au parvis, la fontaine-sculpture reprend des éléments figuratifs de son œuvre tout en évoquant le rythme et la musicalité. Effet acoustique de l’élément liquide, recherche cinétique sonore, Jean Tinguely la décrit comme « jouée et éclaboussée par l’eau […] tentation de rendre visible la musique ».
Monument synthèse mêlant sculpture, peinture, architecture, design urbain et musique, la fontaine Stravinsky cite directement les œuvres du compositeur telles que L’Oiseau de feu 1910, Le Sacre du Printemps 1918, Les Noces de Petrouchka 1911, Le renard 1916, Ragtime 1918. Ce ballet aquatique virevoltant, lieu de rencontre et de quiétude pour les touristes et les riverains, est peuplé d’un bestiaire propre à Igor Stravinsky où créatures de légende et animaux se répondent à travers les gargouillis de l’eau jaillissante et le cliquetis des mécanismes. En tout seize sculptures, sept créations monochromes et mécaniques de Jean Tinguely, six œuvres opulentes et bariolées de Niki de Saint Phalle ainsi que trois pièces réalisées conjointement rappellent Le Paradis fantastique, une œuvre commune imaginée pour le pavillon français de l’Exposition Universelle de 1967 à Montréal, un groupe qui se trouve aujourd’hui à Stockholm au Moderna Museet.
La fontaine-sculpture située place Stravinsky se compose de nombreux éléments disparates qui s’interpellent au-delà de leur caractère individuel. Animaux insaisissables presque vivants émettant chuintements et gargouillis liquides, géométrie des spirales et diagonales, rappel de la condition humaine avec l’amour et la mort, allusion sonore à la musique, l’œuvre est une évocation puissante du lien unissant l’Art et la vie. Les créatures ludiques et colorées de Niki de Saint Phalle en résine de polyester et fibre de verre sur structure en acier conversent avec les sculptures monochromes animées par des moteurs de Jean Tinguely, inventeur des méta-mécaniques à roues hydrauliques avec effet sonore. « Le son bouleverse les conditions du spectacle visuel : il introduit une autre dimension de la perception, qui choque, agresse, surprend ; il remet en question les données de la sensation visuelle, nous empêchant de fixer intellectuellement l’image animée en l’insérant dans un concept visuel. »
Engrenages complexes, bras articulés, manivelles s’activent dans un sonore bruissement à travers lequel se fait entendre le grincement des mécaniques, le craquement des pistons en contrepoint au clapotis de l’eau. L’étude du mouvement au centre de l’œuvre de Jean Tinguely trouve ici l’expression formulée d’un long travail autour des machines-sons. Les rondeurs colorées et la générosité des formes propres aux sculptures de Niki de Saint Phalle renforcent le parti pris esthétique de la fontaine Stravinsky en jouant sur les contrastes. Manège sonore et ballet mécanique, à la fois ludique et cathartique, la fontaine évoque les jeux d’enfants, les fêtes foraines, les carnavals. « Je voudrais une fontaine innocente et merveilleuse… J’ai voulu des sculptures comme des baladins, un côté cirque qui est au font le style de Stravinsky lorsqu’il a fait en 1914 cette merveilleuse rencontre avec le jazz. » Jean Tinguely
Rotation de l’arrosage circulaire comme pour la grenouille, brassage de l’eau avec le renard, jets d’eau jaillissant des seins de la sirène ou de la trompe de l’éléphant, la mobilité extraordinaire des sculptures amplifie les bruits aquatiques et les cliquetis métalliques des automates. L’œuvre en perpétuel mouvement se renouvelle elle-même grâce aux multiples points de vue. L’ensemble qui paraît joyeusement foutraque est en réalité savamment ordonné. Percussions et balancements, gazouillis et valse folle entraîne les spectateurs-auditeurs dans un ballet contemplatif et féerique sans fin.
Fontaine Stravinsky ou fontaine des Automates
Une œuvre de Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle
Place Stravinsky – Paris 4
« Je ne veux pas impressionner les gens, je désire jouer avec eux, faire du cirque, jeter une attraction. Car j’ai de la concurrence : formations de musique latino-américaines, cracheurs de feu, illusionnistes, saltimbanques ou baladins. Alors j’essaie de faire la même chose qu’eux. Je ne veux pas combattre la grandeur par la grandeur. Les flâneurs ne devront pas se tordre le cou comme devant la tour Eiffel ou le Centre Pompidou. Simplement tourner autour de ce catalyseur ludique, discuter à l’emporte-pièce de ces mécanismes qui glapissent comme fennecs des glaces ou craquent comme morses du désert. Farfelus, joyeux, énigmatiques, faisant semblant d’être une sculpture. L’eau seule s’élèvera au-dessus du spectateur. L’eau malléable par définition, qu’on n’a pas besoin de suivre des yeux mais qu’on enregistre. L’eau pulvérisée, brouillée, souterraine, de ruissellement, stagnante, forte, de vie, d’amour ! ». Extrait du livret du CNDP