Tout allait bien pour vous ce week-end. Il faisait beau, vous avez fêté la fin du confinement par un repas de famille organisé chez les parents. Vous goutiez à nouveau avec émerveillement aux plaisirs de la réunion, des grandes tablées (de moins de 10 personnes) et des rires collectifs. Tout était parfait, jusqu’au moment où votre oncle vous a posé la question tant redoutée : « Rappelle-moi, tu veux faire quoi plus tard déjà ? – Je ne sais pas encore. – Ah bon ? Mais voyons, il y a bien quelque chose qui t’intéresse, non ? N’as-tu pas de passion dans la vie ? » Et voilà comment tout s’est effondré. Le bonheur de l’instant pulvérisé par une seule question. Car si vous avez fini par vous habituer à dire que vous n’aviez pas encore décidé de votre avenir professionnel, vous avez, en revanche, beaucoup plus de mal à avouer ce qui apparaît aux yeux de tous comme une terrible honte : non, vous n’avez pas de passion.
Mais pourquoi la passion semble-t-elle si importante dans l’orientation ? Pourquoi est-elle, pour beaucoup, considérée comme le point de départ de tout projet professionnel ? Nous avons interrogé des experts de l’orientation professionnelle pour répondre à la question suivante : Faut-il avoir une passion pour trouver sa voie ?
Si l’on envie tant ses amis ou les personnes de sa promo qui ont une passion, c’est qu’à nos yeux leur route semble déjà toute tracée, quand la nôtre est encore en chantier. On a tendance à penser – à tort – qu’un mordu de sport cherchera forcément du travail dans un club ou une fédération sportive, qu’un amateur d’art distribuera ses CV dans les musées, et qu’un fou de musique électronique frappera à la porte des plus grands festivals. Et que ceux qui – comme nous – ont une attirance pour de nombreux secteurs, sans qu’aucun ne se détache, sont des bons à rien. Alors, quand on se trouve dans cette deuxième catégorie, les remarques comme celle de votre oncle – « Gna gna gna, tu n’as pas de passion ? » – on s’en passerait bien.
Il n’y a pourtant pas de quoi avoir honte. La grande majorité des étudiants ferait face à une absence de passion et aurait du mal à s’orienter, selon Axelle Larroumet, fondatrice du Clédo, réseau d’indépendants spécialisés dans l’orientation des jeunes : « La vérité, c’est qu’au moment de s’orienter, très peu de gens ont une passion, et parmi eux, très peu en font leur métier. » Un constat que fait aussi Carla Abiraad, en dernière année à HEC et co-fondatrice du podcast Vocation, qui vise à aider les étudiants à s’orienter en interrogeant des professionnels sur le quotidien de leur métier : « la plupart des gens, en école de commerce du moins, n’ont pas de passion particulière, et beaucoup se retrouvent vers 23-24 ans à se demander ce qu’ils veulent faire de leur vie. »
La passion, entre atout et fardeau
Au moment de s’orienter : un poids lourd à porter
S’ils sont donc l’exception, les passionnés ne seraient pas non plus plus très avantagés au moment de choisir leur orientation professionnelle. « Avoir une passion peut aussi comporter des biais dangereux, explique Axelle Larroumet. J’ai vu des jeunes passionnés faire face à un dilemme difficile vers 18 ans : transformer leur passion, jusque-là considérée comme un loisir, en métier, ou bien l’abandonner pour pouvoir se consacrer à une carrière dans un autre domaine. » L’exemple le plus parlant est sûrement celui des jeunes sportifs de haut niveau, dont la passion est telle qu’ils consacrent durant leur scolarité une grande partie de leur temps aux entraînements. Mais qui, en quittant les catégories junior, doivent choisir entre se lancer dans une carrière de sportif professionnel, ce qui demande énormément de sacrifices et peut déboucher sur un échec, ou mettre de côté ce qui les anime le plus pour se concentrer sur des études plus “classiques”. Pas si facile d’avoir une passion finalement…
Et ce ne serait pas l’unique difficulté rencontrée par les jeunes passionnés. En poursuivant dans le secteur ou le métier qui les attire tant, ces derniers prennent le risque de s’enfermer dans un domaine trop spécifique ou trop restreint, peu adapté à un marché professionnel en perpétuelle évolution. « Le monde est en mouvement, les métiers se transforment. Celui qui l’envisage de manière très ouverte a beaucoup plus de chances d’y trouver son bonheur. », explique Axelle Larroumet. L’absence de passion serait donc, non seulement la norme, mais aussi une force. Et en aucun cas on ne devrait en avoir honte, car elle permettrait de rester ouvert aux opportunités professionnelles et à la diversité des métiers. « Contrairement aux passionnés, [les autres] sont extrêmement mobiles. Ils peuvent changer de métier, de voie, sans perdre la motivation. Ce qui est un atout. » conclut la spécialiste de l’orientation.
Dernier inconvénient qui accompagne – malheureusement – les étudiants dotés d’une passion, le risque de faire fausse route, de partir dans la mauvaise direction, aveuglés par leur enthousiasme, et de déchanter une fois en poste, face à une réalité en décalage avec leur espérances. « Prenons l’exemple d’une personne passionnée par les jeux vidéo. Cela ne veut pas dire qu’elle doit travailler dans l’univers des jeux vidéos, illustre Axelle Larroumet. Peut-être qu’au fond ce qui lui plait ce ne sont pas les jeux vidéo, mais plutôt le graphisme, la créativité, la narration, ou encore la programmation… ses choix d’orientation seraient en fait beaucoup plus ouverts qu’elle ne le pense. En voulant rejoindre le monde des jeux vidéos à tout prix, elle risque donc de se perdre ou de passer à côté de sa vocation. »
Une fois en poste : la passion devient moteur
En revanche, si la passion ne garantit donc pas de trouver facilement sa voie ni de se prémunir contre les erreurs d’aiguillages, elle serait un atout considérable une fois la carrière lancée. Axelle Larroumet en est convaincue : « le grand avantage de quelqu’un de passionné [par son métier], c’est qu’il pourra consacrer une immense énergie à son travail sans avoir l’impression de travailler. La passion devient alors un moteur de réussite. »
Grâce aux rencontres de nombreux professionnels interviewés dans le cadre de son podcast, Carla reconnaît elle aussi que la passion peut être un vrai levier de motivation au quotidien, mais tient à rappeler qu’elle n’en est pas la condition sine qua non « On n’a pas forcément besoin de passion car le travail ne doit pas obligatoirement devenir le centre de notre vie, affirme-t-elle. Evidemment c’est un moteur et cela peut amener à la réussite. Mais, par définition, la passion n’est pas forcément saine ni équilibrée et finit par manger un temps considérable, avant de conclure par un exemple frappant. C’est ce qu’il se passe pour les entrepreneurs, souvent passionnés par leur métier : leur vie pro se mélange beaucoup avec leur vie perso. Or, je ne pense pas qu’il faille en arriver là pour réussir dans son travail. On peut tout à fait mettre de l’engagement dans son métier et bien le faire, mais de 9h à 18h et sans y mettre de passion ».
Comment trouver sa voie, avec ou sans passion ?
Apprendre à se connaître
Mais, alors, comment trouver sa voie, si la passion n’est pas le point de départ de l’orientation comme on l’imaginait ? « Ce qu’il faut, c’est aller chercher derrière les passions ou les centres d’intérêts les clés de son orientation, c’est-à-dire, les compétences qui nous animent. » nous souffle Axelle. Une vision partagée par Carla, pour qui – avec ou sans passion – « il faut s’interroger sur les compétences qui nous attirent, plutôt que sur les métiers ou les secteurs en tant que tels. »
Il s’agirait donc d’avoir une lecture plus intrinsèque des professions mais aussi une connaissance de soi suffisante pour s’apercevoir des voies professionnelles qui correspondent à notre profil. D’après Axelle Larroumet, se trouver passe par un vrai travail d’introspection « Il est nécessaire de prendre ce recul pour pouvoir se rendre compte de ce que l’on aime, de ce qui nous anime » puis réussir à capter les éléments communs à nos différents centres d’intérêts. Ainsi, même en ayant des centres d’intérêts multiples et n’en préférant aucun en particulier, il est possible de trouver sa vocation. Que vous n’arriviez pas à vous décider entre médecine, école d’ingénieur et fac de droit ne fait pas de vous un étudiant paumé. Mais en comparant ces différentes pistes vous vous apercevrez peut-être que leur dénominateur commun est l’expertise, la minutie, la transmission ou une autre compétence que l’on retrouve dans les trois filières…
S’informer
Une bonne connaissance du monde professionnel est tout aussi nécessaire, et c’est d’ailleurs souvent les lacunes dans ce domaine qui font défaut aux étudiants. « Quand on est en études et qu’on doit choisir son orientation, il y a beaucoup de choses que l’on ne connaît pas de la réalité des métiers. », rappelle Carla. Le manque de connaissances a beau être légitime, il est important néanmoins de le combattre : « Il faut s’informer au maximum pour être au courant de tous les métiers qui existent. » Telle est la clé de l’orientation pour la jeune femme prochainement diplômée.
Faire preuve de patience car si l’appétit vient en mangeant, la passion vient en travaillant !
Axelle Larroumet a beau considérer la passion comme une force une fois que l’on est lancé dans sa carrière, elle prévient tout de même que celle-ci peut mettre du temps à se manifester. « Il faut donner le temps à la passion de venir. Je ne l’ai moi-même trouvée qu’à 35 ans. » Pour elle, la passion n’est pas innée, mais s’acquiert. Surtout, pour parvenir à la trouver, il faut s’ouvrir à celle-ci et orienter ses choix de façon à s’en rapprocher petit à petit, pas à pas. « Il faut être patient, mais pas seulement. Si l’on ne cherche pas cette passion, on peut se retrouver embarqué dans des aventures qui nous échappent, comme une bouteille à la mer. C’est comme cela que certaines personnes se retrouvent à 40 ans – et malgré une carrière remarquable – à se dire : « je n’ai jamais fais ce que je voulais. » Chaque expérience devient alors un pas réduisant l’écart avec le métier dans lequel on s’épanouira pleinement.
Mais cela ne veut pas dire que la motivation se fera elle aussi attendre « Il ne faut pas se décourager en se disant : “si la passion ne vient pas tout de suite, alors à quoi bon ?” C’est effectivement rare d’être passionné dès votre premier job mais ça arrive. Et puis, il y a d’autres leviers de motivation, rassure Axelle Larroumet. L’effet de découverte est quand même moteur de motivation en début de carrière, et puis lorsque celui-ci s’estompe, on a déjà creusé, approfondi suffisamment pour voir naître une passion pour son métier. » Bien qu’elle ne partage pas totalement l’idée d’allier la passion au travail, Carla s’aligne avec Axelle sur l’importance de la patience et de l’expérience dans la recherche de l’orientation idéale. « Les moments de test sont importants, il faut se lancer, essayer une voie, et puis s’écouter. »
La passion ne serait donc pas, comme on pourrait le croire, le point de départ de l’orientation, mais bien la ligne d’arrivée, si tant est que l’on veuille s’engager pleinement dans son travail, qui atteste de la correspondance entre son métier et son profil. Comme le dit si bien Carla Abiraad, « Le métier qui est fait pour soi ne part pas du rêve de gosse, mais plutôt d’une connaissance de soi et des métiers qui existent, et passe par des moments de test obligatoires ». Que l’on ait une passion ou non, l’important est d’observer les compétences qui nous attirent derrière les sujets qui nous intéressent et de s’informer sur les métiers qui mobilisent ces compétences. Une démarche réfléchie, donc, qui demande de la recherche et de poser à plat les éléments en notre possession, et non un choix instinctif guidé par la passion. « L’orientation, c’est de la prise de décision. Et pour prendre la bonne décision, il faut être au clair avec soi-même. » résume Axelle Larroumet.
Photo by WTTJ
Article issu du site internet Welcome to the Jungle que nous vous invitons à consulter.
https://www.welcometothejungle.com/fr/articles/passion-orientation-etudiant